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C'est le nombre d'années pendant lesquelles j'ai été l'esclave heureux de ces petites choses, les cigarettes.
Notre première rencontre à eu lieu dans la cité en 1975. C'est mon copain Daniel qui me l'a présenté. Lui, plus vieux de deux années, a ce jour la eu envie de rire à mes dépends en me disant de bien tiré dessus et surtout, de bien avaler comme lorsque l'on prend une bonne inspiration. J'ai bien cru que mes poumons allaient sortir par ma bouche. Il faut avouer que pour une première, ce n'était pas la plus douce, Daniel savait ce qu'il faisait en mettant entre mes doigts cette Boyards. Plus je toussais, plus il riait. Je me suis dit qu'à 14 ans, je n'étais pas encore vraiment un homme, mais c'est certain, j'avais envie de le devenir.
Le temps des cigarettes "en cachette"
A cette époque, il était rare de voir de jeunes adolescents fumer devant leurs parents et ces derniers répondaient souvent aux demandes d'autorisation par un "On verra ça quand tu seras un homme". A 14 ans, il est facile de tomber dans le piège de "l'image". Seuls les adultes fument donc si je fume, je suis un adulte, je suis un homme et dans ma tête d'ados, ce sera une réalité le jour où mes parents me donneront l'autorisation de fumer. Il me faudra encore attendre deux ans pour obtenir ce sésame.
Ce fut alors le temps des cigarettes "en cachette", offertes par les copains plus vieux. De temps en temps, je réussissais à avoir 2 francs pour acheter un paquet de Gauloises que l'on fumait dans l'après midi pour ne pas le cacher à la maison. Sinon, il y avait aussi les paquets de P4 qui comme son nom l'indique, ne contenait que quatre cigarettes. Il me semble qu'il ne coûtait que 20 centimes à ce moment.
Mon grand-père paternel
Mon grand-père paternel a lui aussi contribué à faire de moi "un homme".
Je me souviens très bien des repas de famille à Noël ou pour la St Sylvestre. Mon grand-père me plaçait à sa droite à table et me servait un ou deux verres de vin. A la fin du repas, il m'offrait comme aux autres hommes présents dont mon père, un petit cigarillos. Pour le coup, je me sentais vraiment faire parti du clan des hommes, je ressentais au plus profond de moi de la fierté et une sorte de reconnaissance envers mon grand-père. Lui, l'homme le plus âgé et respecté de l'assemblée venait de dire aux autres adultes, que j'étais des leurs.
Je suis devenu esclave sans le savoir
Deux ans après ma première taffe et quelque dizaines de cigarettes fumées dans l'ombre, ma mère se doutant que cela ne changerait pas grand chose, me donna l'autorisation que je demandais régulièrement. C'est donc début 1977 qu' heureux, je suis devenu esclave sans le savoir et surtout sans connaître les véritables risques. Bien que la première loi relative à la lutte contre le tabagisme soit passée quelques mois plus tôt, je n'ai pas vraiment le souvenir d'en avoir entendu parler.
Il y a bien sur cet avertissement "Abus dangereux" sur les paquets de cigarettes et je me souviens avoir vu cette affiche à l'école, mais c'est tout.
En '77, tout le monde fume ou presque (surtout les hommes), grands parents, parents, oncles, cousins, même des sportifs, le médecin traitant et puis la pub est encore partout.
Une campagne de 1978 "Une cigarette écrasée, c’est un peu de liberté gagnée".
Brunes et blondes
C'est partis pour 34 ans et à ce moment, je choisis de fumer des gitanes sans filtres, puis des filtres. Dans le même temps, j'ai toujours fumé des blondes à cette époque, c'était des Rothmans et des Camel. Je suis ensuite passé aux Gauloises sans filtres, puis filtres. En avril 1981 est venu le temps du service militaire et je recevais tous les mois en même temps que la solde, ma cartouche gratuite de troupes et ma tablette de chocolat. En complément, j'ai pendant un certain temps fumé la pipe avec du Amsterdamer.
Je me croyais "sauvé"
Vers 1985, je n'ai plus fumé que des blondes, mais je suis dans un premier temps quand même resté chez Gauloises. Tout d'abord les paquets bleu, puis les rouges et pendant 1 an ou 2, un paquet de 30 par jour. Je suis ensuite passé aux Benson & Hedge Gold. Les paquets de cigarettes augmentant, je me suis mis aux roulées avec du tabac Samson. J'ai terminée ma carrière de fumeur avec des JPS rouges. J'en ai grillées au totale + de 248 200. Cela représente beaucoup d'argent parti en fumée, cette fumée qui m'a intoxiqué ainsi que mes enfants et toutes les personnes qui m'approchaient. En 34 ans, je n'ai réussi qu'une fois à arrêter pendant 8 mois. Je me croyais "sauvé" et puis lors d'une soirée d'anniversaire un peu arrosée d'alcool, on m'en a offert 2 ou 3. Le lendemain matin, je recommençais et n'ai plus jamais réussi à arrêter jusque...
Mon cancer et ma première opération du poumon droit le 11 juillet 2012.
Mes failles d’adolescent
Cela fait maintenant 2 ans et demie que je ne fume plus, mais j'ai encore souvent l'envie d'en griller une. Ce qui me permet de ne pas craquer, c'est que je n'ai plus qu'un poumon et que j'espère pouvoir accompagner mes enfants dans la vie le plus longtemps possible.
En tous cas, la société, l'état français et l'industrie du tabac ont parfaitement su exploiter mes failles d’adolescent pour faire de moi un de leurs fumeurs esclaves.
Témoignage
La cigarette cette tueuse ! Annonce diagnostic : Témoignage audio de Annie Menonville sur sa chaine YouTube.
Quelques liens vers des pages indispensables à lire...
- Premiers résultats tabac et e-cigarette. Caractéristiques et évolutions récentes. Résultats du Baromètre santé Inpes 2014.
- Loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme sur legifrance.gouv.fr
- Un bon article sur l'industrie du tabac : Quand l’industrie du tabac cache la vérité scientifique.
4 juillet 2019
Ce qui est triste c est que lorsqu on vous lit on devrait se dire que vraiment il faut arrêter de fumer mais je pense que tout fumeur pense que ça n arrive qu aux autres !
Mon mari et mon fils fument ils ont vu mon père mourir d un cancer et aussi avec une trachéotomie (à l epoque mon fils n avait que 10 ans j osais espérer que ça lui reste dans le cerveau mais comme tout ado on oublie et on fait comme les autres et après comme vous dites c est de l esclavage)
J ai eu mon cancer ils m ont vu souffrir de 2r chimios me voir vomir 15 fois par jour perdre connaissance marcher comme une mamie de 90 ans . Et tout le reste la lobectomie..mais rien ne les arrête
Bon en même temps je suis un mauvais exemple puisque je n ai jamais fumé je ne bois pas beaucoup voir pas et je suis sportive
Donc ils peuvent se dire voilà elle a quand même eu un cancer ! Oui enfin moi c est pas du poumon c est du côlon qui s est métastasé au poumon
J aimerais lire votre texte a mon fils de 24 mais est ce utile ?
Est-ce que vous auriez arrêté pour autant si on vous avez lu ça ?
D ailleurs si vous avez des conseils pour que je les convaincs ? Mais je crois qu eux seuls peuvent décider
Je me souviens quand j ai surpris mon fils à fumer le matin au réveil je me suis dit houla il est accro !
Et il m a dit t inquiete maman je gère ! Je ne fume que 5 par jour
Je lui ai répondu je pense que c est déjà là cigarette qui te gère et aujourd’hui je confirme que j avaus raison
Merci pour votre témoignage
5 juillet 2019
Bonjour Muriel, merci pour ce commentaire (et pour les autres).
Non, lire ce genre de témoignage ne m’aurait pas fait arrêter à l’époque où je fumais. J’aurais certainement pensé « ce gars a raison », mais j’aurais continué. Les gens ne voient pas la cigarette comme une drogue alors qu’en fait c’en est une bien plus dure que le cannabis au point de vue addiction.
Je ne pense pas que pour votre fils le fait d’entendre mon témoignage soit inutile. Bien entendu ce n’est pas uniquement cela qui pourrait lui donner le déclic, mais à force d’entendre ce genre de témoignage ce déclic pourrait venir plus tôt. Tous les fumeurs vous diront qu’ils ne sont pas accro, on ne s’en rend compte vraiment que lorsque l’on décide d’arrêter. Vous pouvez par contre dire tout de suite à votre fils que, 5 cigarettes par jour pendant une longue période, provoqueront plus sûrement un cancer du poumon que 20 cigarettes/jour pendant un court laps de temps.
Mon fils aîné fumait quand j’ai eu mon cancer et il a décidé de suspendre ses études et venir habiter chez moi pour que je ne sois pas seul. Il me voyait dépérir et devenir une carpette, mais il continuait de fumer (dehors). Cela me rendait malade et furieux. J’ai vraiment été après lui et je n’y allais pas par quatre chemins pour dire ce que je pensais. Si bien qu’il s’est mis à la cigarette électronique. Même combat en étant moins dur j’ai réussi à lui faire comprendre que ce type de cigarette ne devait servir qu’à arrêter totalement ce geste inutile et néfaste.
Ce n’est pas simple d’arrêter. Il y a même des personnes atteintes d’un cancer du poumon qui continuent de fumer.
6 juillet 2019
Votre réponse témoigne de cette dépendance qu on ne lâchera que le jour ou on a un cancer et encore !
Mon père a écrasé sa dernière cigarette quand on lui a annoncé son cancer mais…trop tard il en a eu 4 mais n a survécu que 4 ans
C etait il y a 15 ans et quand je vous lis je me dis qu il y a eu des progrès dans la médecine !
Mon fils fumait 5 cigarettes au début il en est à bien plus.je lui avais dit arrête toi le plus tôt possible et il avait essayé les nicopatch la cigarette électronique mais ça lui a pas plu
Mon mari lui fume que cigare et pipe et il fume peu
En parlant de vous et en lui disant que j allais lui montrer vos articles il a dévié la conversation d une personne qui fumait la pipe et le cigare et qui est mort vieux et pas de ça ! Tous le même discours
Et comme je vous dis avec une mère ou femme (moi) a qui on a enlevé un lobe de poumon alors qu elle n a jamais fumé finalement ça ne les incite pas a arrêter
Apres c est de leur responsabilité….
Mais c est bien dommage
En tout cas votre témoignage est important pour aussi donner espoir à ceux qui sont dans le combat
8 juillet 2019
Oui hélas nous fumeurs avons tous le même discours.
« Je m’arrête quand je veux ! » ou encore « Je ne fume pas beaucoup ! » ou même pire « mourir de ça ou d’autre chose ! »
et puis on continue jusqu’au jour où cela nous tombe dessus. Ce jour là, on comprend. Plus on avance dans les traitements et plus on comprend à quel point l’on a été bête et faible face à la cigarette.
Oui votre mari a raison, il y a des gens qui fument toute leur vie et meurent vieux sans jamais développer de cancer du poumon ou d’un autre organe ou encore d’infarctus. Mais votre mari serait bien le premier à pouvoir dire qu’il est sûre d’être immunisé contre tout ça. Il est donc comme tout les fumeurs, il aime jouer à la roulette russe. Prêt à risquer sa vie pour un si petit plaisir, si tant est que s’envoyer de la fumée dans les poumons en soit vraiment un.
Un drôle de plaisir dans lequel je me suis laissé embarquer moi aussi et qui m’a conduit aux portes de la mort. Cette mort qui depuis mon plus jeune age m’intrigue, me questionne et me passionne, mais que je ne souhaitais pas expérimenter si tôt.
Mes prières ont été exaucées, on m’accorde plus de temps avec mes enfants. Combien je ne sais pas, la rechute, un autre cancer, ou même un infarctus peuvent arriver n’importe quand.
C’est pour cela qu’aujourd’hui je vis le moment présent.